Le transfert officiel du siège de l’AFROSAI du Cameroun vers le Maroc, entériné le 30 avril 2025 à Rabat, marque un tournant décisif pour les Institutions supérieures de contrôle (ISC) du continent. Dans un contexte africain marqué par une jeunesse majoritaire, une dette croissante et une défiance persistante à l’égard des institutions publiques, cette relocalisation symbolise à la fois une reconnaissance de l’expertise marocaine et une volonté continentale de moderniser les pratiques d’audit. L’occasion pour l’Organisation africaine des Institutions supérieures de contrôle des finances publiques d’articuler une stratégie de refondation autour de cinq axes majeurs.
L’AFROSAI : colonne vertébrale du contrôle externe en Afrique
Créée en 1976, l’AFROSAI fédère l’ensemble des cours des comptes africaines, avec pour mission de renforcer la transparence et la bonne gestion des finances publiques. Elle constitue la branche régionale africaine de l’INTOSAI, organisme international de référence en matière de contrôle externe. L’AFROSAI est structurée autour de trois sous-groupes linguistiques : le CREFIAF pour les pays francophones, l’AFROSAI-E pour les pays anglophones et un groupe arabophone. Sa vocation est d’offrir un cadre de coopération, de formation et de normalisation des pratiques d’audit. Le transfert de son siège vers Rabat consacre le rôle stratégique que peut jouer la Cour des comptes marocaine dans la réinvention de ce contrôle public.
- Réconcilier indépendance des ISC et communication citoyenne
Le premier levier stratégique repose sur une révision profonde de la communication des ISC. Encore perçus comme des organes technocratiques aux rapports peu accessibles, ces institutions doivent retrouver un lien avec les citoyens. Le mémorandum signé le 2 mai 2025 entre la Cour des comptes du Maroc et l’AFROSAI acte la nécessité d’un virage communicationnel : vulgarisation des rapports d’audit, création de plateformes interactives multilingues, diffusion des résultats via les médias locaux. Objectif : faire de l’audit un outil démocratique lisible, en phase avec les préoccupations concrètes des populations, notamment sur la corruption transfrontalière ou les subventions agricoles. - Digitalisation et innovation : l’audit entre dans l’ère de l’IA
Le deuxième axe stratégique mise sur la modernisation technologique des ISC. Le Maroc, doté d’une stratégie nationale en intelligence artificielle, propose de transformer Rabat en laboratoire numérique du contrôle public. Le mémorandum évoque le développement d’outils d’audit adaptés aux risques et à la transformation numérique. Plateformes digitales, big data, cybersécurité : autant d’enjeux que l’AFROSAI, sous impulsion marocaine, veut inscrire au cœur de ses pratiques. Un défi essentiel alors que la digitalisation est l’un des sept grands chantiers identifiés par l’INTOSAI pour l’avenir du contrôle externe. - Auditer la dette, évaluer les inégalités
La dette publique moyenne en Afrique atteint 60 % du PIB, avec des conséquences lourdes sur les politiques sociales. L’AFROSAI ambitionne d’harmoniser les méthodologies d’audit de la dette et de renforcer les contrôles sur les partenariats public-privé. Mais elle entend aussi se pencher sur la redistribution : audits sociaux sur l’assurance maladie, l’éducation ou l’emploi, évaluation de l’impact des dépenses sur les inégalités. L’expérience marocaine, notamment sur la couverture médicale universelle et l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), constitue un modèle que l’AFROSAI pourrait déployer à l’échelle continentale. - Intégrer les ODD et mutualiser les données
En phase avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine et les Objectifs de développement durable (ODD), l’AFROSAI souhaite standardiser les indicateurs d’évaluation des politiques publiques. L’idée : créer un référentiel commun aligné sur les priorités globales, permettant d’auditer de manière transversale des projets continentaux. Des accords de mutualisation des données avec l’INTOSAI, l’Union africaine et les agences onusiennes sont envisagés. Objectif : mesurer plus finement la performance publique, mais aussi offrir aux gouvernements des outils d’aide à la décision fondés sur des données fiables et comparables. - Audits climatiques et souveraineté numérique
Enfin, l’AFROSAI entend investir deux nouveaux terrains devenus cruciaux : le climat et le numérique. Les ISC africaines sont appelées à auditer la mise en œuvre des politiques climatiques nationales, en évaluant leur pertinence, leur efficacité et leur conformité aux engagements internationaux. En parallèle, la cybersécurité devient un enjeu majeur : les audits doivent désormais inclure une évaluation de la résilience numérique des administrations. L’expérience marocaine en matière de sécurité des systèmes d’information et d’audits climatiques servira de socle pour impulser une culture de contrôle adaptée aux nouveaux risques.
L’installation de l’AFROSAI à Rabat ne se limite pas à un changement d’adresse. Elle incarne une volonté partagée de redonner sens et efficacité au contrôle public africain. En articulant indépendance, innovation, équité, alignement international et résilience, les Cours des comptes africaines peuvent se repositionner comme piliers d’un État de droit renouvelé. Reste à transformer ces ambitions en actions durables, à l’heure où la légitimité des institutions se gagne autant sur le terrain des résultats que sur celui de la transparence.
La Rédaction

