La nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre : Koko Komégné n’est plus. Artiste majeur du Cameroun, il s’est éteint après plus de cinquante ans de création ininterrompue. Pour beaucoup, sa disparition marque la fin d’une époque. Pour d’autres, elle ouvre le temps de la reconnaissance, celui où l’on mesure enfin tout ce qu’il a apporté à la peinture, à la sculpture et à la vie artistique de Douala. Son nom reste lié à la ville, à ses murs, à ses couleurs et à l’énergie qu’il y a insufflée.
Un artiste né pour créer
Koko Komégné est né en 1950 à Batoufam, un village de l’Ouest du Cameroun, dans un environnement où l’art et la tradition se mêlaient à la vie quotidienne. Très jeune, il se passionne pour le dessin et la peinture. Après ses études primaires à Yaoundé, il s’installe à Douala, ville animée et foisonnante, où il découvre la publicité et les affiches peintes à la main. Ces premières expériences marquent profondément sa pratique artistique. Autodidacte, il apprend en observant, en reproduisant, mais surtout en expérimentant. Il n’hésite jamais à sortir des sentiers battus et cherche toujours à inventer quelque chose de nouveau.
Dès les années 1970, il ouvre son atelier à Douala et se consacre entièrement à la peinture. Ses premières œuvres reflètent la vie urbaine, les visages, les mouvements et les couleurs de la ville. Peu à peu, il développe un style unique, mélangeant influences africaines traditionnelles et explorations modernes. Pour Koko Komégné, l’art n’était pas seulement un métier, c’était une manière de vivre, de ressentir et de transmettre. Chaque tableau, chaque sculpture, chaque intervention dans l’espace public porte son énergie et sa vision du monde. Il est, en tous points, un créateur de son temps, animé par une insatiable envie de donner forme à ses idées et à ses rêves.


Un style libre et foisonnant
Koko Komégné se distinguait par un style unique, à la fois libre et foisonnant, qui reflétait sa vision de l’art comme un espace d’expérimentation et de liberté. Ses peintures et ses sculptures sont immédiatement reconnaissables par leur vitalité et leur mouvement. Il utilisait des couleurs franches et intenses, souvent juxtaposées, créant des contrastes qui captent le regard et insufflent une énergie particulière à ses œuvres. Les formes qu’il dessinait, qu’il s’agisse de corps, de masques ou de silhouettes urbaines, ne cherchaient pas à imiter la réalité mais à en traduire l’essence. Chaque ligne, chaque contour, chaque détail semblait animé par un rythme interne, comme si la peinture elle-même dansait.
Il aimait mélanger les influences, passant de l’abstraction à des figures plus figuratives, mêlant traditions africaines et formes modernes sans jamais perdre sa cohérence. Les masques, récurrents dans son travail, ne sont pas seulement des objets d’inspiration culturelle ; ils deviennent des symboles, des fenêtres vers la mémoire collective et la spiritualité. L’artiste cherchait à provoquer le regard, à surprendre, à inviter le spectateur à entrer dans son univers et à y trouver sa propre interprétation. Sa liberté stylistique faisait de chaque œuvre une découverte, un dialogue vivant entre l’artiste, la ville et ceux qui contemplaient ses créations.


L’art dans la ville
Koko Komégné ne voulait pas que ses œuvres restent confinées dans les galeries ou les ateliers. Pour lui, l’art devait être vécu par tous, rencontrer les habitants dans leur quotidien, dialoguer avec la rue, la place, le marché ou la cour d’école. Cette conviction l’a poussé à investir l’espace public de Douala avec audace et générosité. Parmi ses créations les plus emblématiques figure Njé Mo Yé, une sculpture monumentale en tubes de fer peints, qui se dresse dans le quartier Dernier Poteau. L’œuvre interpelle le passant, l’invite à s’arrêter, à questionner ce qu’il voit, à s’étonner, à rêver.
Au-delà de la sculpture, ses peintures et panneaux colorés jalonnaient la ville, transformant les murs, les façades et les coins oubliés en véritables tableaux vivants. Chaque forme, chaque couleur, chaque silhouette racontait une histoire urbaine, les gestes du quotidien, les fêtes, les musiciens, les danseurs ou la solitude des habitants. En intégrant l’art à la vie de tous les jours, Komégné a créé une poésie visuelle qui dépasse les murs d’atelier et s’inscrit dans la mémoire collective. Il a ainsi montré que l’art peut être un langage commun, capable de relier les habitants à leur environnement et de faire de la ville elle-même un espace de création et de réflexion.


Un bâtisseur de la scène artistique
Koko Komégné n’a jamais été un artiste isolé. Au-delà de ses créations personnelles, il a consacré une grande partie de sa vie à faire vivre et à structurer la scène artistique camerounaise. Dès les années 1970 et 1980, il participe à la création de collectifs d’artistes comme le CAPLIT, le Collectif des Artistes Plasticiens du Littoral. Ces espaces ont permis à de nombreux jeunes créateurs de se rencontrer, d’échanger et de montrer leurs œuvres, bien avant que l’art contemporain camerounais ne bénéficie d’une reconnaissance internationale. Il ouvre également des ateliers et des espaces alternatifs à Douala, comme le Squatt’art, où l’exposition n’est pas réservée aux seuls professionnels. Ces lieux deviennent des points de rencontre, d’apprentissage et d’expérimentation. Koko Komégné encourage les artistes à sortir de la reproduction et à inventer, à prendre confiance en leur vision et à oser exprimer leur culture de manière originale.


Sa posture de mentor et d’animateur a marqué plusieurs générations. Des artistes tels que Salifou Lindou ou Hervé Yamguen reconnaissent en lui un passeur et un inspirateur. Par son engagement, il a transformé Douala en un véritable foyer artistique, où la création circule, se discute et se partage. Son rôle dépasse celui d’un simple créateur : il est un bâtisseur de communauté et un acteur essentiel de la vitalité culturelle du Cameroun.
Un héritage vivant
Koko Komégné laisse derrière lui un héritage artistique immense, qui dépasse la simple production de peintures et de sculptures. Son œuvre témoigne d’une vision où l’art se vit au quotidien, s’inscrit dans la ville et dialogue avec ses habitants. À travers ses couleurs, ses formes et ses masques, il a su capter l’âme de Douala, la vie de ses rues, la fête, mais aussi la solitude et les tensions de la société. Chaque tableau, chaque sculpture raconte une histoire, invite à la réflexion et touche par sa force expressive.
Aujourd’hui, sa trace est partout : dans les murs colorés de Douala, dans les œuvres de ceux qu’il a formés, dans la manière dont l’art camerounais continue de se déployer avec audace et liberté. Son nom restera associé à la ville et à la vitalité de la scène artistique, et son message continue de résonner auprès de tous ceux qui croient que l’art peut changer le regard sur le monde.


Un message pour l’avenir
Assis devant l’une de ses sculptures, on ressent l’intensité du regard de Koko Komégné sur le monde. Ses œuvres ne sont pas seulement des objets à admirer ; elles sont des invitations à réfléchir, à s’arrêter, à voir autrement. Chaque ligne, chaque couleur, chaque silhouette raconte la ville, la vie et les êtres qui la peuplent. Il nous rappelle que l’art n’est pas réservé à un cercle restreint ou aux murs des galeries. L’art peut surgir dans la rue, dans un coin oublié, dans le quotidien, et toucher chacun d’entre nous. Son engagement envers la scène camerounaise montre qu’un artiste n’est pas seulement un créateur solitaire : il est aussi un passeur, un mentor, un bâtisseur de communautés. En soutenant les jeunes artistes, en animant des collectifs et des ateliers, Koko Komégné a semé des graines qui continueront de pousser longtemps après lui.
Son message est clair : l’art est vital pour la société, il est un langage universel qui relie les individus et les générations. Les couleurs qu’il a posées sur les murs, les formes qu’il a sculptées dans le métal, continuent de nous parler. Elles nous encouragent à rêver, à créer, à transmettre. Son héritage est vivant : il nous invite à poursuivre la route, avec audace, liberté et passion.









Richard Laté Lawson-Body

