Le Togo, acteur clé en Afrique de l’Ouest, se trouve actuellement à un point tournant de sa politique étrangère, au moment où une réflexion se dessine sur ses relations avec la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette réflexion, lancée après des déclarations du ministre des Affaires étrangères, soulève des questions complexes sur les orientations géopolitiques et économiques du pays à court et moyen termes.
Contrairement à une décision définitive, ce débat est plutôt un examen des différentes pistes envisageables dans un contexte de turbulences géopolitiques et de défis sécuritaires accrus dans la région sahélienne. L’éventualité de quitter la CEDEAO au profit de l’AES, bien que n’étant qu’une réflexion à ce stade, amène à s’interroger sur les implications de ce choix pour le Togo. Un tel changement d’alliance pourrait avoir des conséquences profondes, non seulement pour la sécurité nationale, mais aussi pour la position économique et diplomatique du Togo dans un monde globalisé en constante évolution.
La CEDEAO : Un acteur historique et incontournable pour le Togo
La CEDEAO, qui regroupe aujourd’hui 15 États ouest-africains, est un acteur majeur de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. Depuis sa création en 1975 sous l’impulsion du général Gnassingbé Eyadéma, elle s’est consolidée en un cadre institutionnel solide, abordant des enjeux variés, allant de la sécurité à l’économie en passant par la gouvernance et les droits de l’homme. L’expérience accumulée par la CEDEAO, associée à des mécanismes de coopération bien établis, en fait un pilier indispensable de la stabilité régionale.
Pour le Togo, membre actif de la CEDEAO, les bénéfices sont multiples. D’un point de vue économique, l’adhésion à cette organisation permet l’accès à un marché de plus de 400 millions de personnes, avec des initiatives comme la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), qui visent à renforcer les échanges commerciaux intra-africains. Le pays bénéficie également de projets d’infrastructure régionaux soutenus par la CEDEAO, ainsi que de programmes visant à stimuler la croissance et le développement dans des secteurs comme l’agriculture, l’éducation et la santé.
En matière de sécurité, la CEDEAO a joué un rôle déterminant dans le maintien de la paix, comme en témoigne son intervention en Sierra Leone et au Liberia au cours des années 1990 à travers l’ECOMOG (Force de maintien de la paix de la CEDEAO). En outre, la Commission de la CEDEAO met en œuvre des stratégies visant à contrer les menaces terroristes et à promouvoir la stabilité démocratique dans la région. Le Togo, en tant que pays confronté à des risques d’instabilité dans la région sahélienne, bénéficie grandement de l’appui de la CEDEAO pour renforcer sa propre sécurité.
Enfin, la dimension diplomatique de la CEDEAO ne doit pas être sous-estimée. L’organisation jouit d’une reconnaissance internationale qui permet à ses membres de peser sur les grandes décisions politiques et économiques à l’échelle mondiale. Pour le Togo, cette position de leadership en Afrique de l’Ouest est un atout majeur sur la scène internationale.
L’AES : Une organisation émergente avec des défis multiples
L’Alliance des États du Sahel (AES), quant à elle, est une organisation relativement récente, créée en 2017 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, des pays confrontés à des défis sécuritaires communs. L’objectif principal de l’AES est de lutter contre le terrorisme, l’instabilité politique et la fragmentation des États dans cette zone particulièrement vulnérable. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si l’AES, malgré ses ambitions, offre une alternative viable aux États ouest-africains, notamment pour un pays comme le Togo, qui partage certaines préoccupations sécuritaires liées au Sahel, mais est également intégré à un ensemble régional plus large et stable au sein de la CEDEAO.
L’AES, bien que prometteuse en matière de coopération sécuritaire, souffre néanmoins de plusieurs faiblesses structurelles qui limitent son efficacité. Tout d’abord, contrairement à la CEDEAO, l’AES n’a pas encore développé une base institutionnelle aussi solide. Son cadre juridique et économique est encore en construction, et sa capacité à mobiliser des ressources financières reste limitée. De plus, la question de son efficacité à long terme se pose, car cette organisation dépend fortement du soutien extérieur, notamment de la Russie, qui, bien qu’ayant renforcé ses liens avec certains pays du Sahel, pourrait ne pas offrir à l’AES la stabilité nécessaire pour se pérenniser. Cette relation avec la Russie suscite également des interrogations, notamment concernant le risque d’une dépendance stratégique face à une puissance externe.
En matière de sécurité, bien que l’AES partage des préoccupations légitimes face au terrorisme, elle ne dispose pas encore d’un mécanisme militaire comparable à l’ECOMOG de la CEDEAO. Si les pays membres de l’AES travaillent ensemble pour contrer les menaces, l’absence d’une force régionale structurée pourrait limiter leur capacité à répondre de manière rapide et coordonnée aux crises de grande envergure.
Les risques d’une adhésion à l’AES : Isolement économique et diplomatique
L’un des principaux risques pour le Togo en cas d’adhésion à l’AES réside dans l’isolement économique et diplomatique. En effet, en quittant la CEDEAO, le Togo risquerait de perdre un accès privilégié à un marché régional de plus de 400 millions d’habitants et aux diverses initiatives économiques en cours, comme la ZLECAf. L’AES, qui regroupe des pays enclavés et moins développés économiquement, n’offre pas encore les mêmes opportunités économiques que la CEDEAO.
D’un point de vue diplomatique, l’AES est encore une organisation émergente, avec une reconnaissance internationale limitée. Tandis que la CEDEAO bénéficie d’une forte influence au sein de l’Union africaine et dans d’autres forums internationaux, l’AES peine à obtenir une reconnaissance formelle et un poids diplomatique conséquent. Pour un pays comme le Togo, cette perte de visibilité pourrait avoir des conséquences négatives sur ses relations avec d’autres puissances économiques et diplomatiques.
Une réflexion stratégique sur les priorités du Togo
Le Togo, sous l’impulsion de ses autorités, se trouve donc dans une phase de réflexion stratégique importante. L’option d’une adhésion à l’AES, bien qu’évoquée par le ministre des Affaires étrangères, n’est qu’une piste parmi d’autres. Ce débat montre l’importance pour le Togo de redéfinir ses priorités géopolitiques dans un contexte mondial en perpétuelle évolution. Si les préoccupations sécuritaires sont légitimes, elles doivent être évaluées par rapport aux autres priorités, notamment économiques, commerciales et diplomatiques, qui sont au cœur de la politique étrangère du Togo depuis des décennies.
Il ne s’agit donc pas d’une décision à prendre à la légère, mais bien d’une réflexion sur la manière de renforcer les partenariats régionaux du pays tout en préservant ses intérêts économiques et sa place dans l’architecture régionale de l’Afrique de l’Ouest. Le Togo devra peser soigneusement les avantages d’une coopération renforcée avec l’AES contre les risques d’un déséquilibre stratégique.
La Rédaction

