L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’apprête à inaugurer un bureau de liaison à Genève, au cœur de la diplomatie internationale. Cette décision, officialisée en juillet avec l’accord du Conseil fédéral, suscite un débat houleux en Suisse, pays traditionnellement neutre. Voici les enjeux de cette installation.
Un bureau de liaison, pas un siège militaire
Les autorités suisses ont insisté sur la nature du bureau qui ouvrira prochainement à Genève : il s’agit d’un « bureau de liaison » destiné à renforcer les échanges de l’OTAN avec les nombreuses organisations internationales présentes dans la ville, notamment les Nations unies. Contrairement à ce que certains pourraient craindre, ce bureau ne concerne pas les relations bilatérales entre l’OTAN et la Suisse.
L’OTAN dispose déjà de bureaux similaires à Vienne et à New York, deux autres pôles importants de l’ONU. Avec l’ouverture de ce bureau à Genève, l’organisation sera désormais présente dans les trois principaux centres onusiens, à l’exception de Nairobi.
Le bureau genevois sera installé au Geneva Center for Security Policy (GCSP), une institution qui se consacre à la formation et à la promotion de la paix et de la sécurité. Une seule personne y sera affectée.
Pourquoi Genève ?
Genève, ville emblématique de la diplomatie multilatérale, se distingue par son engagement dans des domaines cruciaux tels que le désarmement et le droit international humanitaire. La ville abrite le siège européen de l’ONU ainsi que de nombreuses agences spécialisées, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Union internationale des télécommunications (UIT), sans oublier le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Pour l’OTAN, Genève est donc un emplacement stratégique, lui offrant un accès direct à une vaste communauté diplomatique internationale, avec plus de 180 pays représentés et environ 750 organisations non gouvernementales actives dans la sécurité ou le déminage.
Une expansion géopolitique sous le signe de la rivalité
L’ouverture de ce bureau à Genève s’inscrit dans une stratégie plus large de l’OTAN visant à contrer l’influence croissante de la Russie et de la Chine, non seulement en Europe, mais aussi en Afrique et en Asie. Des pays non membres de l’alliance, tels que le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont d’ailleurs participé aux récents sommets de l’OTAN. L’organisation avait même envisagé d’ouvrir un bureau de liaison à Tokyo, avant de se raviser.
Une controverse qui divise la Suisse
L’installation de ce bureau à Genève n’est pas sans provoquer des réactions. À gauche, le Parti socialiste (PS) et à droite, l’Union démocratique du centre (UDC) ont vivement critiqué cette décision, y voyant une atteinte à la neutralité suisse et une menace pour la réputation de Genève en tant que « capitale de la paix ».
En revanche, le gouvernement suisse, ainsi que des partisans comme le Parti libéral radical (PLR), estiment que la présence de l’OTAN à Genève renforcera le rôle de la ville dans les discussions sur la sécurité internationale, sans compromettre la neutralité du pays. Ils soulignent que l’OTAN, en tant qu’organisation intergouvernementale, n’est pas fondamentalement différente des autres institutions déjà présentes en Suisse.
Pour certains observateurs, comme David Sylvan, professeur émérite au Geneva Graduate Institute, cette installation témoigne d’un recentrage de l’OTAN, au-delà de l’Atlantique Nord, vers d’autres régions du globe, y compris l’Afrique et l’Asie.
Cependant, tous ne partagent pas cet enthousiasme. Amanda Gavilanes, du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), craint que cette initiative ne serve de prétexte pour pousser la Suisse à rejoindre l’OTAN, malgré la résistance du Parlement depuis des années.
Le rapprochement de la Suisse avec l’OTAN : une question ouverte
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’OTAN a regagné en influence, attirant même des pays traditionnellement neutres ou non alignés, comme la Finlande et la Suède. En Suisse, bien que le pays ne soit pas membre de l’OTAN, il participe depuis 1996 au Partenariat pour la paix, et des contingents suisses sont engagés dans des missions de l’OTAN, comme la KFOR au Kosovo.
L’ouverture de ce bureau de liaison à Genève pourrait-elle marquer une nouvelle étape dans le rapprochement entre la Suisse et l’OTAN ? Le débat est loin d’être tranché.
La Rédaction