Près de neuf ans après son exil en Guinée équatoriale, l’ancien président Yahya Jammeh affirme qu’il rentrera en novembre 2025. Une annonce qui ravive les plaies d’une nation encore hantée par les 22 ans de son régime autoritaire et met à l’épreuve la fragilité politique du président Adama Barrow.
Le grand retour annoncé d’un exilé encombrant
Dimanche, les haut-parleurs de Kanilai, le village natal de Yahya Jammeh, ont résonné d’une voix familière : « Mon pays m’a manqué », a-t-il déclaré dans un message audio diffusé via WhatsApp. Des centaines de partisans se sont rassemblés pour écouter celui qui promet de « rentrer en novembre » et de « vivre en paix » dans sa patrie.
Cette déclaration, la plus directe depuis son départ forcé en 2017, relance les débats sur un possible retour de l’ancien chef d’État, accusé de crimes contre l’humanité par la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC).
Un accord fantôme et des zones d’ombre
Jammeh assure qu’un protocole d’accord, signé en 2017 sous la médiation de la CEDEAO, garantirait son retour. Il cite notamment l’ancien président guinéen Alpha Condé et le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz parmi les signataires. Ni la CEDEAO ni les Nations unies n’ont jamais confirmé l’existence d’un tel document.
Pour plusieurs analystes, ce flou est devenu un levier politique. « L’ambiguïté entretenue par les organisations régionales a permis à Jammeh de se présenter comme une victime », estime un ancien consultant de la CEDEAO. D’autres, comme l’avocat des droits humains Reed Brody, rejettent catégoriquement ces allégations : « Aucune base juridique ne protège Jammeh contre des poursuites ».
La justice en panne, la mémoire en souffrance
La TRRC a reconnu Yahya Jammeh coupable de meurtres, tortures et disparitions forcées. Pourtant, neuf ans après sa chute, les recommandations de la commission tardent à être appliquées. Ce retard nourrit la frustration des victimes et des familles, comme celle de Fatoumata Sandeng, fille du militant assassiné Solo Sandeng :
« Si Jammeh revient libre, à quoi bon tout ce que nous avons traversé ? »
Pour Madi Jobarteh, militant des droits humains, le message est clair : « Dès qu’il remettra les pieds en Gambie, le gouvernement devra l’arrêter. Ne pas le faire serait une trahison nationale. »
Barrow entre justice et calcul politique
L’annonce de Jammeh intervient à un moment délicat pour le président Adama Barrow, confronté à une impopularité croissante à l’approche des élections de 2026. Son alliance fragile avec une faction du parti de Jammeh – l’Alliance pour la réorientation et la construction patriotiques (APRC) – accentue sa position inconfortable.
Une partie du parti reste fidèle à Jammeh et perçoit son retour comme celui du « vrai président ».
Selon le porte-parole du gouvernement, Ismaila Ceesay, « Jammeh, comme tout citoyen gambien, sera soumis à la procédure prévue par la loi ». Mais pour les ONG locales, ce discours prudent masque la crainte d’un choc politique majeur si l’ex-dictateur devait rentrer.
Vers un tribunal spécial pour la Gambie
En 2024, la CEDEAO a approuvé la création d’un Tribunal spécial pour la Gambie, destiné à juger les crimes du régime Jammeh. Ce tribunal hybride, soutenu par les Nations unies, constitue une avancée historique pour la justice transitionnelle en Afrique de l’Ouest.
Mais pour beaucoup, la lenteur du processus judiciaire et le manque de clarté du gouvernement risquent de saper la crédibilité du projet.
« Sans justice visible, le retour de Jammeh rouvrirait toutes les blessures que ce pays tente encore de refermer », avertit Reed Brody.
Entre nostalgie et responsabilité
Pour une frange de la population, surtout dans les zones rurales, Jammeh incarne encore l’ordre et la stabilité d’autrefois. Pour d’autres, il reste le symbole de la terreur d’État. Entre ces deux mémoires, la Gambie peine à trouver son équilibre.
Son éventuel retour en novembre ne serait pas seulement celui d’un homme, mais celui d’une époque que beaucoup voudraient définitivement révolue.
La Rédaction

