Le 30 janvier 1985, Cephas Ndebele disparaît à Silobela, une petite localité du Zimbabwe. Emmené par des soldats pour un interrogatoire, il ne reviendra jamais. Sa femme, Anna Ndebele, vit depuis avec l’incertitude qui accompagne les milliers de familles touchées par les massacres de Gukurahundi, qui ont fait près de 20 000 morts entre 1983 et 1987.
Ces violences trouvent leur racine dans la période qui a suivi la guerre d’indépendance du Zimbabwe. L’opposition entre l’Union nationale africaine du Zimbabwe (Zanu), dirigée par Robert Mugabe, et l’Union du peuple africain du Zimbabwe (Zapu), de Joshua Nkomo, a été exploitée pour justifier une répression sanglante contre les populations des régions du Matabeleland et des Midlands. La 5ᵉ Brigade, une unité de l’armée formée à l’étranger, fut déployée pour traquer ce que le gouvernement appelait les « dissidents ».
Les conséquences furent dramatiques : exécutions sommaires, disparitions forcées, tortures et violences sexuelles ont marqué des villages entiers. Les familles comme celle des Ndebele ont subi des pertes irréparables, dont celle de leur fils de 11 ans, Paris, qui mourut après avoir été témoin et victime indirecte de la répression.
Aujourd’hui, le Zimbabwe tente une nouvelle réconciliation avec des audiences communautaires. Près de 10 000 témoignages ont été recueillis, mais le processus se déroule à huis clos, excluant médias et société civile. Beaucoup de survivants estiment que cette démarche manque de transparence et ne répond pas aux attentes fondamentales : savoir où se trouvent les disparus et obtenir reconnaissance et réparation.
Pour Anna Ndebele et Patricia Dlamini, les mots comptent autant que les gestes. Si une compensation financière peut aider, la priorité reste la reconnaissance officielle des crimes et des excuses sincères. Les familles attendent également que les restes de leurs proches soient restitués, condition essentielle pour pouvoir faire leur deuil.
Les commémorations restent fragiles. Les plaques érigées pour honorer les victimes ont été détruites à plusieurs reprises, illustrant les tensions entre mémoire collective et volonté officielle de « dignité » et de discrétion. Pour les défenseurs des droits humains, ce huis clos officiel révèle une réconciliation encore incomplète, où la transparence et l’accès à la justice sont indispensables pour tourner la page d’un chapitre douloureux de l’histoire zimbabwéenne.
Alors que le Zimbabwe continue de chercher à guérir, les cicatrices de Gukurahundi restent visibles et les attentes des familles sont simples mais fondamentales : vérité, justice et mémoire respectée.
La Rédaction

