À cinq mois de la présidentielle camerounaise, Paul Biya, 92 ans, change de ton et de terrain. Longtemps silencieux, le chef de l’État multiplie désormais les messages sur les réseaux sociaux. Un virage numérique qui intrigue, amuse, interroge.
Depuis le 1er avril 2025, Paul Biya publie presque chaque jour sur X (ex-Twitter) et Facebook. Tantôt en français, tantôt en anglais, ses messages alternent aphorismes sur l’unité nationale, appels à la cohésion sociale et plaidoyers pour un Cameroun indivisible. Un changement spectaculaire pour celui qui, pendant plus de quatre décennies, s’est montré avare de mots et encore plus discret en ligne.
Une parole rare qui devient quotidienne
« Tous ensemble, nous devons continuer à bâtir une société saine constituée d’êtres humains qui se plaisent dans la compagnie des uns des autres », écrivait-il le 12 mai. Quelques jours auparavant : « La séparation n’est pas un projet. Notre passé, notre présent et notre avenir entonnent le chœur de l’unité. » Des formules solennelles, dans un pays où l’unité reste un sujet brûlant depuis la crise anglophone débutée en 2016.
Mais au-delà du fond, c’est bien la forme qui frappe. Le président camerounais semble découvrir les ressorts de la communication moderne. Lui qui s’était contenté, ces dernières années, d’envoyer des SMS de vœux aux citoyens, adopte désormais les codes d’une présence continue sur les réseaux sociaux.
Objectif : électorat jeune
Pour Thomas Atenga, professeur en communication à l’Université de Douala, ce choix n’est pas anodin : « Ses spin doctors ont lancé une phase d’amorçage visant à réinstaller son image dans l’opinion. Les réseaux sociaux sont devenus incontournables, surtout pour toucher les jeunes. » En 2024, le Cameroun comptait près de 13,7 millions d’internautes, dont 5,4 millions présents sur les réseaux sociaux.
Cette jeunesse connectée est cruciale dans un pays où la majorité de la population a moins de 30 ans. Paul Biya semble vouloir leur parler directement. D’autant qu’il n’a pas encore annoncé officiellement sa candidature pour le scrutin présidentiel prévu en octobre. Mais le terrain est en préparation.
Une stratégie contrôlée
Pour Aboya Manasse, politologue à l’Université de Yaoundé II, ce virage s’inscrit dans une logique de conquête : « Il s’agit de construire un espace de communication maîtrisé. Les publications du président permettent aussi de jauger les réactions en temps réel et d’adapter sa posture. »
Une tentative de modernisation, donc. Mais qui ne convainc pas tout le monde. L’intellectuel Alexie Tcheuyap, professeur à l’Université de Waterloo au Canada, dénonce une « résurrection cybernétique » : « Revenir à X, c’est tenter de redonner vie à un pouvoir moribond, une monarchie à bout de souffle. »
Une portée encore limitée
Car si le président a fait irruption dans le monde numérique, son audience reste modeste. Avec seulement 199 000 comptes actifs sur X au Cameroun, selon les derniers chiffres, l’effet de levier reste réduit. Et malgré ce nouvel habillage, Biya reste l’“éternel candidat statutaire” du RDPC, souvent en décalage avec les réalités du pays profond.
Mais cette irruption du “vieux lion” dans la jungle numérique prouve que, même à 92 ans, la communication politique peut encore se réinventer. Reste à savoir si cela suffira à faire rugir les urnes une fois de plus.
La Rédaction

