Au cœur des forêts d’Inde, loin des mégalopoles et des projecteurs, vit un peuple au passé méconnu et à l’identité fascinante : les Siddis. Descendants d’Africains venus d’Éthiopie, du Mozambique ou de Tanzanie, ils ont traversé les siècles, invisibles aux yeux du monde, tout en gardant vivantes certaines traditions enracinées dans la terre et la mémoire.
Une origine africaine, une histoire indienne
Les Siddis sont arrivés en Inde entre le 7ᵉ et le 19ᵉ siècle, par plusieurs vagues. Certains furent amenés comme esclaves par les marchands arabes ou portugais ; d’autres vinrent comme soldats, marins ou mercenaires. Au fil du temps, ils s’installèrent dans différentes régions de l’Inde : le Gujarat, le Maharashtra, l’Andhra Pradesh, le Karnataka et Goa.

Si une minorité de Siddis a connu l’ascension sociale – comme Malik Ambar, ancien esclave devenu ministre et stratège militaire au 17ᵉ siècle – la majorité d’entre eux a vécu à l’écart, marginalisée par la société indienne.
Un peuple de la forêt : les Siddis du Karnataka
C’est dans les forêts du district de Uttara Kannada, dans l’État du Karnataka, que l’on trouve aujourd’hui certaines des communautés siddis les plus isolées. Regroupées dans de petits villages forestiers près de Yellapur, Dandeli ou Sirsi, elles vivent au rythme de la nature : cultures vivrières, collecte de bois, récolte de plantes médicinales, chasse et pêche.
Leur quotidien est marqué par une forme de résilience silencieuse, entre pauvreté, discriminations raciales, et attachement profond à leur environnement. Bien qu’ils soient officiellement reconnus comme Scheduled Tribe, et donc bénéficiaires de quotas et de politiques sociales, l’accès réel à ces droits reste limité par leur isolement.

La forêt comme refuge et matrice culturelle
Pour les Siddis, la forêt n’est pas seulement un habitat, c’est aussi un espace spirituel, identitaire et culturel. Leur musique, leur danse et leurs rituels témoignent d’un syncrétisme étonnant entre :
• Les traditions africaines ancestrales, notamment dans les rythmes de percussion et les danses rituelles comme le Dhamal.
• Le soufisme islamique, très présent dans certaines communautés.
• Le respect de la nature, qui rappelle les croyances animistes de leurs ancêtres africains.
Les fêtes communautaires sont souvent rythmées par des chants en langues locales (kannada ou konkani), des prières musulmanes, mais aussi des danses où l’on retrouve l’énergie des cérémonies africaines.

Discrimination et effacement social
Malgré leur ancienneté en Inde, les Siddis restent perçus comme des étrangers par de nombreux Indiens. Leur apparence physique (peau noire, cheveux crépus) les expose à des stéréotypes raciaux tenaces. Ils sont parfois appelés de façon péjorative « habshis » ou « kalas » (noirs), et peinent à s’intégrer dans les sphères urbaines.
Cette marginalisation s’ajoute aux défis sociaux : taux d’alphabétisation faible, accès difficile à la santé, manque d’infrastructures dans les zones rurales où ils vivent. Les jeunes Siddis tentent parfois de migrer vers les villes, mais se retrouvent souvent piégés dans des emplois précaires.
Vers une reconnaissance ?
Depuis quelques années, certaines initiatives cherchent à mettre en lumière l’héritage culturel des Siddis. Des festivals, des documentaires, et même des programmes sportifs tentent de leur offrir une visibilité nouvelle. Le gouvernement indien a aussi lancé des projets pour détecter de jeunes talents sportifs chez les Siddis, misant sur leur potentiel physique en athlétisme.

Mais ces efforts restent encore marginaux face à l’ampleur de leur invisibilité sociale.
Les Siddis sont bien plus qu’un vestige oublié de la diaspora africaine en Asie : ils sont les gardiens d’une mémoire vivante, faite de migration, de fusion culturelle et de résistance. Leur vie au cœur des forêts indiennes est un témoignage silencieux de l’histoire mondiale des peuples africains, souvent absente des récits dominants.
Redonner une voix aux Siddis, c’est aussi reconnaître la richesse plurielle de l’Inde, et la profondeur des échanges entre l’Afrique et l’Asie bien avant les routes coloniales.
La Rédaction

