Une promesse brisée
Dans la nuit du 31 juillet 1761, l’Utile, navire de la Compagnie française des Indes orientales, s’échoue sur un îlot inconnu au large de Madagascar. À son bord, 160 esclaves malgaches transportés illégalement. Parmi eux, 80 parviennent à rejoindre la terre ferme avec l’équipage. Ce banc de sable désolé, futur île Tromelin, devient leur prison.
Dès les premiers jours, la survie s’organise. Naufragés blancs et captifs noirs collaborent à la construction d’une embarcation de fortune à partir des débris du navire. Mais cette solidarité forcée a ses limites. Lorsque le bateau est enfin prêt, il ne peut contenir tout le monde. Le 27 septembre 1761, l’équipage quitte l’île, promettant d’envoyer du secours. Un serment qui ne sera jamais tenu.
L’abandon et l’oubli
Ce naufrage dépasse le simple accident maritime. Il révèle un ordre implacable : les colons sauvés, les esclaves abandonnés. Ces derniers ne sont pas considérés comme des vies à secourir, mais comme des biens sans valeur marchande une fois perdus.
L’administration coloniale, informée de leur présence sur Tromelin, ne bouge pas. Pendant quinze ans, le silence se fait complice du temps. Cette indifférence s’inscrit dans une logique plus vaste, celle d’un monde où certains peuvent être effacés sans que personne ne s’en émeuve.
Vivre malgré tout
Les esclaves laissés sur Tromelin ne se résignent pas à mourir. Ils s’adaptent. Avec les restes de l’épave, ils bâtissent des abris, fabriquent des outils, cousent des vêtements de fortune avec des plumes et des fibres végétales. Ils pêchent, capturent des oiseaux, stockent l’eau de pluie pour survivre.
Ce combat pour la vie est confirmé par les fouilles archéologiques menées au XXIe siècle par Max Guérout et son équipe. Les objets retrouvés racontent cette résistance silencieuse : morceaux de cuivre transformés en couteaux, huttes de corail et de bois flotté, ustensiles bricolés avec des débris du navire. Ce ne sont pas de simples victimes : ils ont lutté contre l’oubli avec une ingéniosité remarquable.
Que sont-ils devenus ?
Lorsqu’en 1776, enfin, un navire atteint Tromelin, seuls sept femmes et un enfant de huit mois sont encore en vie. Emmenés à l’île Maurice, ils reçoivent leur liberté, une décision rare à l’époque. Mais après cela, plus rien.
Les archives coloniales n’ont pas jugé utile de suivre leur destin. Ont-ils réussi à reconstruire une vie digne ? Ont-ils été à nouveau réduits en esclavage ? Ce silence en dit long sur l’indifférence de l’époque.
Un symbole à préserver
Aujourd’hui, Tromelin est un site protégé, mais son histoire reste méconnue. Cet îlot perdu au milieu de l’océan Indien est bien plus qu’un simple lieu géographique : il est le témoin d’un abandon volontaire, d’un silence coupable et d’une survie extraordinaire.
Se souvenir de Tromelin, c’est refuser que l’Histoire continue d’effacer certains destins. C’est affirmer que chaque vie compte, même celles que les siècles ont voulu oublier.
La Rédaction

