À Port-Louis, capitale de l’île Maurice, un simple laboratoire improvisé dans deux conteneurs blancs cristallise les espoirs d’un projet régional ambitieux : restaurer les écosystèmes côtiers pour capter durablement du carbone. Derrière ce projet baptisé “Recos” — porté par la Commission de l’océan Indien et financé par l’AFD — se dessine une nouvelle économie verte fondée sur le “carbone bleu”. Un espoir à la fois technique, écologique… et commercial.
La fragile renaissance des écosystèmes côtiers
Dans cette arrière-cour presque vide de l’aquarium Odysseo, Shane Sunassee, directeur scientifique du projet, entame un travail titanesque : régénérer les mangroves, herbiers marins et marais salants qui se sont effondrés sous les coups du tourisme, de la déforestation, de la surpêche et des cultures intensives. En quelques décennies, l’île Maurice est passée de 2000 hectares de mangroves à moins de 200. Or, ces milieux sont indispensables : ils protègent les côtes, nourrissent les populations et filtrent les eaux. Le projet prévoit notamment la création d’une pépinière d’herbiers, détruits autrefois pour dégager les plages d’hôtels.
Le pari du carbone bleu
Ce qui donne aujourd’hui une nouvelle impulsion à ces replantations, c’est la perspective de pouvoir monétiser le carbone piégé dans ces écosystèmes. L’accord de Paris sur le climat permet en effet, via son article 6, la rémunération des projets de séquestration du carbone naturel sous forme de “crédits carbone”. Une voie que les projets forestiers explorent depuis des années, mais qui reste encore embryonnaire pour les milieux marins.
Pour que cela fonctionne, encore faut-il prouver scientifiquement que ces écosystèmes stockent bien du carbone — et durablement. C’est le rôle du laboratoire de Port-Louis : les fours servent à dessécher les sédiments, afin de mesurer précisément la quantité de carbone stockée dans les vasières. Les échantillons sont ensuite analysés au Portugal par l’ONG Blue Z C Institute.
Un potentiel encore flou, des incertitudes nombreuses
Mais cette promesse se heurte à une grande incertitude scientifique. Si certains chercheurs, comme Carlos Duarte, avancent que les mangroves et herbiers pourraient stocker jusqu’à 841 millions de tonnes de carbone d’ici 2030, d’autres, comme Jean-Pierre Gattuso du CNRS, dénoncent des estimations trop optimistes. Les données varient d’un facteur 600 selon les études. Tout dépend du sol, de la région, de l’érosion ou encore de l’apport de sédiments extérieurs.
Autre limite : ces milieux sont vulnérables. Leur disparition sous la montée des eaux ou l’érosion pourrait libérer le carbone stocké, annihilant les bénéfices climatiques attendus. À Monaco, l’AIEA tente de mieux comprendre ces dynamiques grâce à des instruments utilisant la radioactivité.
Un mécanisme encore balbutiant
Malgré ces zones d’ombre, l’intérêt pour le “carbone bleu” grandit. Lors de la Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC) à Nice, la Fondation Elyx a annoncé l’émission des premiers crédits carbone marins certifiés par la France : 100.000 crédits pour la préservation de 6.500 hectares de posidonies méditerranéennes.
Mais les chercheurs sont unanimes : la séquestration carbone ne doit pas être l’unique motivation. “Le crédit-carbone n’est que la cerise”, explique Joao Sousa de l’UICN. “Le gâteau, ce sont les poissons, la qualité de l’eau, la protection contre les tempêtes.” Autrement dit, même si le stockage du carbone est incertain, replanter reste un impératif écologique.
Le “carbone bleu” n’est pas une panacée, mais un outil parmi d’autres pour restaurer des écosystèmes dévastés et offrir un avenir plus résilient aux populations littorales. En attendant des preuves plus solides sur sa réelle efficacité climatique, l’urgence reste de sauver ce qui peut l’être — non pas pour spéculer sur des crédits, mais pour garantir la vie.
La Rédaction

