L’exil forcé des vivants et des morts
En Afrique du Sud, l’exploitation du charbon ne se contente pas de creuser la terre, elle exhume aussi les morts et déracine des communautés entières. Dans les provinces du Mpumalanga, du KwaZulu-Natal et du Limpopo, des centaines de villages ont été déplacés pour faire place aux immenses mines à ciel ouvert qui alimentent 80 % du système électrique du pays.
Mais pour ceux qui ont tout perdu, la douleur ne se limite pas à la perte d’un toit ou d’un champ. Elle touche l’âme même de ces terres, bousculant les vivants et troublant le repos des ancêtres.
Quand les ancêtres réclament justice
Dans la culture africaine, la relation avec les défunts est sacrée. Déplacer une tombe sans respect, c’est perturber l’ordre du monde et condamner les vivants à l’errance spirituelle.
De nombreuses familles racontent des rêves troublants, des visions de proches mécontents, dérangés dans leur dernier repos. “Mon grand-père me parle la nuit. Il me demande pourquoi nous l’avons abandonné”, confie un habitant déplacé de Somkhele, une région durement frappée par l’expansion minière.
Les cérémonies de réinhumation sont souvent bâclées. Certains corps sont retrouvés encore enveloppés de leur linceul d’origine, d’autres sont réduits à de la poussière et transportés dans des couvertures de fortune, sans le moindre respect pour leur dignité.
La dépossession, un héritage du passé
L’exploitation du charbon ne se contente pas d’enterrer des souvenirs, elle perpétue aussi une dépossession historique. Sous l’apartheid, des milliers de Sud-Africains noirs ont été expropriés au profit des industries minières, sans compensation ni recours. Aujourd’hui, cette réalité n’a guère changé.
Beaucoup de déplacés vivaient sur des terres tribales, où le droit coutumier ne leur confère aucun titre de propriété. Les compagnies minières en profitent pour s’implanter avec la bénédiction de chefs traditionnels sous pression, laissant les habitants impuissants face à la destruction de leur cadre de vie.
“Je ne voulais pas partir. Ils ont emballé mes affaires sous mes yeux”, raconte une femme contrainte de quitter sa maison du jour au lendemain. Un témoignage parmi tant d’autres, où le choc du déplacement se mêle à une violence institutionnelle banalisée.
Un paradoxe cruel
Le charbon qui dévaste des communautés entières est aussi la pierre angulaire du système énergétique sud-africain. Pour éclairer les villes, on plonge des milliers de familles dans l’obscurité de l’exil et de la misère.
Privés de leurs terres, ceux qui vivaient de l’agriculture ou de l’élevage sont contraints d’accepter des emplois précaires dans les mines mêmes qui les ont chassés. Beaucoup se retrouvent dépendants de maigres aides sociales, brisant le fragile équilibre d’une économie rurale déjà en souffrance.
Un combat inégal
Face à cette injustice, la résistance s’organise. Des associations comme Groundwork, WoMin African Alliance ou Mining Affected Communities United In Action tentent d’accompagner les victimes dans leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits.
Mais le combat est inégal. Les grandes compagnies minières bénéficient du soutien implicite des autorités, et les contestations locales sont souvent étouffées par des procédures interminables ou une répression brutale.
Pourtant, la voix des déplacés continue de se faire entendre. “La terre est notre lit. Nous y dormons tous. Maintenant que la mine nous dépossède de nos terres, où irons-nous dormir ?” Cette question, posée par un habitant de Somkhele, résonne bien au-delà des frontières sud-africaines.
Car ce n’est pas seulement une bataille pour des lopins de terre, mais pour la dignité, l’histoire et l’âme d’un peuple.
La Rédaction