La communication autour du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, prévu à Paris en février 2025, monte en puissance. Ce sommet réunira entreprises, ONG et 100 chefs d’État. Anne Bouverot, chargée de son organisation par l’Élysée, affiche un optimisme certain, soulignant les « opportunités » que cette technologie peut offrir. Toutefois, la prolifération et la complexité croissantes des intelligences artificielles soulèvent des interrogations de plus en plus pressantes, notamment sur leurs implications pour la relation entre l’humain et la machine. L’émergence des IA dites « agentiques », autonomes à l’image de celles présentées par Satya Nadella, PDG de Microsoft, ouvre la voie à l’irruption des jumeaux numériques dans nos vies, avec des conséquences potentiellement vertigineuses.
Mais au fait, qu’est-ce qu’un jumeau numérique ? Il s’agit d’une réplique virtuelle d’un objet physique, capable de simuler son comportement en temps réel, grâce aux données collectées par des capteurs. Ce concept, qui trouve ses racines dans les simulations de la NASA dans les années 60, a été popularisé dans les années 2000. Aujourd’hui, on utilise des jumeaux numériques pour optimiser les performances de machines, d’usines, voire même de villes.
Ce qui est curieux, c’est que le terme « jumeau » fait référence à des êtres vivants, qui partagent le même utérus. Pourtant, dans le cas du « jumeau numérique », il s’agit d’objets non organiques. En fait, la technologie est désormais en mesure de créer des répliques numériques de notre propre être. Ce « jumeau numérique » personnel, qui nous accompagne déjà discrètement, se perfectionne chaque jour, et il semble prêt à envahir tous les aspects de notre vie.
Ce double invisible et omniprésent est constitué de capteurs que nous portons constamment sur nous, tels que nos téléphones mobiles, montres ou bagues connectées. Ces objets mesurent en permanence nos déplacements, notre fréquence cardiaque, nos habitudes alimentaires, ou encore la qualité de notre sommeil. Les données collectées alimentent un modèle virtuel de plus en plus précis de notre comportement et de nos préférences, qui évolue en fonction des informations reçues.
Grâce à l’intelligence artificielle, ce jumeau devient encore plus sophistiqué. Il peut analyser nos habitudes, comprendre nos besoins, et interagir avec nous de manière fluide, par exemple via des applications comme ChatGPT. À terme, il pourrait, par exemple, anticiper vos désirs : rentrer chez soi après une journée de travail et découvrir une maison déjà chauffée, une lumière tamisée et une série télévisée de votre choix qui s’affiche sur l’écran. Le dîner serait préparé selon vos goûts et votre état de santé, et votre brosse à dents connectée vous rappellerait qu’il est temps de vous coucher.
Les possibilités offertes par ces jumeaux numériques vont bien au-delà de la sphère personnelle. À l’avenir, chaque individu pourrait disposer de son propre double virtuel, interagissant avec ceux des autres. Par exemple, votre jumeau numérique pourrait choisir pour vous un partenaire sur un site de rencontre, organiser vos vacances en prenant en compte vos préférences, celles de vos enfants et les impératifs de votre chien. Cette interconnexion promet une vie sans friction, où toutes les tâches quotidiennes se réaliseraient sans effort.
Cependant, cette promesse d’une existence plus fluide cache un côté sombre. Si les jumeaux numériques facilitent notre quotidien en anticipant nos besoins, ils risquent aussi de nous rendre totalement dépendants. En éliminant le besoin de choisir, de réfléchir ou d’agir, nous perdons notre capacité à décider. Nos désirs sont systématiquement satisfaits avant même que nous les formulions, et nos vies deviennent des cycles déterminés par des algorithmes.
Ce scénario constitue une rupture profonde dans notre rapport à l’autonomie et à la liberté. En réduisant la place de l’incertitude, de l’erreur et du choix, les jumeaux numériques promettent une vie prévisible, sans heurts, mais aussi sans véritable élan. Une existence lisse, où tout est parfaitement orchestré, mais où la spontanéité et l’imprévu, essentiels à notre humanité, disparaissent peu à peu.
Le jumeau numérique pourrait bien être le visage d’un futur où l’ennui et la monotonie deviennent la norme. Il nous invite à réfléchir à la question fondamentale : voulons-nous vraiment céder à cette vision d’un monde parfaitement huilé, mais d’un ennui mortel ?
La Rédaction