Né en 1976 à Ouagadougou, Mahomed Ouédraogo est un artiste plasticien autodidacte, figure emblématique de la scène contemporaine burkinabè. Depuis plus de quinze ans, il s’est imposé comme l’un des maîtres de l’art de la récupération et du recyclage, développant une esthétique singulière où les rebuts deviennent des révélations. Son atelier, situé dans la capitale burkinabè, est à la fois un laboratoire de création et un espace d’initiation sociale. Artiste engagé, il partage son savoir-faire avec des femmes issues de milieux précaires et des enfants en quête d’expression artistique. Il transforme ainsi les déchets en symboles de dignité, de résilience et de renaissance.


La matière comme mémoire
Mahomed Ouédraogo accorde à la matière une valeur presque spirituelle. Chaque fragment qu’il récupère porte une empreinte du temps, une trace d’usage, un souffle d’humanité. Les capsules, les tongs usées, les sachets plastiques tissés, les tôles rouillées et les contreplaqués racontent des histoires de vie, de travail, d’oubli. Rien n’est anodin dans son geste. Il collecte, trie, découpe, assemble. Ce travail patient devient une manière d’écouter ce que la matière a à dire. Son atelier ressemble à un lieu de fouille où chaque débris est une relique. Les objets qu’il manipule ne sont pas choisis pour leur aspect décoratif, mais pour leur charge symbolique. Ils portent les marques de la rue, de la poussière, du quotidien. L’artiste leur redonne une présence en les juxtaposant, en les clouant, en les tissant. Il ne cherche pas à effacer leur passé. Au contraire, il le révèle. Cette démarche s’apparente à une écriture. Les morceaux de métal, de plastique et de bois deviennent des mots. Ensemble, ils composent une langue visuelle faite de silences, de ruptures et de résonances. Chaque œuvre naît d’une tension entre le rebut et la renaissance, entre la décomposition et la mémoire. Dans cette alchimie, la matière se fait témoin. Elle garde les cicatrices du monde et se transforme en surface de réflexion. Mahomed Ouédraogon’invente pas des formes nouvelles, il fait parler ce qui semblait muet. La rouille, les plis, les textures irrégulières deviennent des voix. L’artiste transforme ainsi le déchet en archive sensible, le banal en mémoire collective. Sa peinture sans peinture témoigne d’une volonté de rendre justice à la matière, de lui restituer la dignité qu’on lui refuse trop souvent.


Une œuvre en mouvement
Son parcours est jalonné de reconnaissances majeures :
• Lauréat du Prix du Développement Durable au Festival d’Art Contemporain des Comores (FACC) en 2024 ;
• Lauréat du Grand Prix National des Arts et des Lettres (GPNAL) en 2022 ;
• Lauréat du Prix spécial de la Semaine Nationale de la Culture (SNC) en 2018 et du Prix de la peinture à la SNC 2023 ;
• Lauréat du Grand Prix de la Sculpture en 2020 ;
• Expositions individuelles notables au Goethe Institut et à l’Institut Français de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso ;
• Participation à la Biennale de Dakar (OFF), à Ségou Art, à la Biennale Internationale de la Sculpture de Ouagadougou (BISO), et plus récemment, à une exposition à la Galerie Olivier Pépé en Côte d’Ivoire.
Ses créations ont été saluées par des figures majeures de l’art africain contemporain, comme le plasticien béninois de renom Dominique Zinkpé, qui possède certaines de ses œuvres dans sa collection privée.


MUTATION, l’exposition manifeste
Du 31 octobre au 14 novembre 2025, l’Espace Culturel Naanego, sis à Bilbaolgo, accueille MUTATION, la nouvelle exposition de Mahomed Ouédraogo, avec le soutien du BBDA (Bureau Burkinabè du Droit d’Auteur).
Mahomed Ouédraogo y poursuit une quête essentielle : celle de faire exister la peinture sans la matière picturale. Ses pinceaux sont des marteaux, ses pigments des capsules, des tongs, des tôles, des sachets, des morceaux de polystyrène. Chaque élément porte la trace du vécu, la mémoire du geste et la dignité de ce qui fut rejeté. En les assemblant, il ne cherche pas l’illusion mais la présence. Ce travail n’est pas une imitation de la peinture, c’est une peinture autrement. Les œuvres présentées vibrent d’une tension entre destruction et renaissance. Les visages semblent surgir du chaos des matériaux, les corps flottent dans des textures denses, les regards s’ouvrent comme des blessures. L’artiste propose une expérience sensorielle où la matière respire, s’élève et raconte. Le spectateur n’est pas simple observateur, il devient témoin d’une transformation. Dans MUTATION, chaque fragment compte. Le métal rouillé dialogue avec le plastique fondu, le rebut devient lumière. Cette alchimie, Mahomed Ouédraogo la conçoit comme une réponse à la précarité du monde, un acte de résistance créative. Son art parle de mémoire, d’écologie, de dignité, de spiritualité. Il invite à regarder autrement, à reconnaître la beauté dans ce qui semblait perdu. L’artiste exprime sa profonde gratitude à Madame Suzanne Christelle Ouédraogo, épouse Songa, responsable du centre, pour son soutien constant et inestimable tout au long de sa carrière et pour son appui précieux dans la réalisation de ce projet, ainsi qu’à Monsieur Moïse Ouédraogo, commissaire de l’exposition, pour son accompagnement attentif et sa vision éclairée.


Le polystyrène : une nouvelle frontière
Mahomed Ouédraogo explore aujourd’hui un matériau inattendu : le polystyrène. Cette matière légère, souvent rejetée, devient entre ses mains un terrain d’expérimentation poétique. Il la fond, la tord, la sculpte, la laisse se déformer sous l’effet de la chaleur. Le résultat n’est jamais prévisible. Les formes se métamorphosent, s’étirent, se fissurent, se dissolvent parfois avant de renaître sous une autre apparence.Dans cette exploration, Mahomed Ouédraogo ne cherche pas la perfection. Il observe la transformation de la matière comme un phénomène vivant. Le polystyrène devient un organisme qui respire et réagit. Chaque coulure, chaque crevasse témoigne d’un instant de lutte entre la main et la matière. Le feu, élément de destruction, se change en outil de création. Les figures issues de cette fusion semblent flotter entre deux mondes. Elles conservent des traces de leur origine industrielle, mais dégagent une présence presque humaine. Leurs contours sont flous, leurs visages paraissent inachevés. Ce sont des présences fragiles, des spectres nés de la chaleur. L’artiste y voit une métaphore du monde contemporain : instable, mouvant, en mutation permanente. Le polystyrène lui permet aussi de revisiter la question de la mémoire. Ce matériau, symbole d’une société de consommation rapide, devient un support de réflexion sur la durée et la transformation. Ce qui devait disparaître trouve ici une seconde vie. Dans cette démarche, Mahomed Ouédraogopoursuit une quête intérieure. Il cherche dans la matière la trace d’une vérité, d’un souffle. Le polystyrène lui offre un espace où la forme et l’idée se rejoignent. La légèreté de la matière contraste avec la densité du sens. Dans ce dialogue silencieux, la matière devient un langage, et la mutation, une manière de penser le monde.


Un art social, écologique et spirituel
Mahomed Ouédraogo crée à partir du réel. Ses œuvres naissent dans les quartiers populaires de Ouagadougou, là où la vie s’accroche entre poussière et espoir. L’artiste ramasse ce que la ville rejette : morceaux de plastique, tongs usées, tôles rouillées, capsules de bouteilles. Ces fragments deviennent les signes d’une humanité qui refuse la disparition. Chaque assemblage raconte la possibilité d’une seconde vie. L’acte de création devient alors un geste social. Mahomed Ouédraogo travaille avec des femmes et des enfants du quartier Pissy. Il les initie à la récupération et à la transformation des déchets. L’atelier devient un lieu de partage où l’on apprend à inventer, à se libérer, à reprendre confiance. Ce travail collectif fait de l’art un outil d’émancipation. Son engagement est aussi écologique. Il refuse la logique du gaspillage et transforme la matière abîmée en source d’énergie visuelle. Les rebuts deviennent des signes de résistance. Par cette pratique, il propose une autre manière d’habiter le monde, plus attentive, plus responsable. L’œuvre de Mahomed Ouédraogo possède enfin une dimension spirituelle. Ses silhouettes suspendues, ses visages flous, ses corps fragmentés évoquent la méditation, la mémoire et le souffle. La matière brûlée ou rouillée semble respirer. Il y a dans chaque pièce une quête d’équilibre entre le visible et l’invisible.
Mahomed Ouédraogo ne cherche pas à choquer ni à séduire. Il écoute la matière, il l’accompagne dans sa métamorphose. Son art relie les êtres et les choses. Dans le chaos du quotidien, il révèle une paix discrète, une lumière née de la patience et du travail des mains. C’est un art du lien, de la dignité retrouvée et de la vie qui persiste malgré tout.
Richard Laté Lawson-Body

